Avant d’aborder la lecture du texte, je vous conseille vivement de regarder au moins une des nombreuses adaptations cinématographiques qui en ont été tirée.
Parmi elles, deux films se démarquent particulièrement par leur qualité artistique et leurs choix narratifs : Les Liaisons dangereuses (1988) du réalisateur britannique Stephen Frears et Valmont (1989) de l’américain d’origine tchécoslovaque Miloš Forman.
La particularité essentielle du scénario de Stephen Frears est d’avoir été adapté par Christopher Hampton d’une pièce de théâtre écrite à partir du roman de Laclos. L’intrigue du roman en ressort resserrée, accélérée et dramatisée. Elle reçoit notamment quelques modifications assez significatives : les intrigues secondaires, en particulier le déshonneur de Prévan, ont été supprimées afin de concentrer le film sur les personnages principaux. La marquise de Merteuil (interprétée par Glenn Close) et le vicomte de Valmont (John Malkovich), qui, dans le livre, ne se rencontrent qu’une seule fois, sont mis régulièrement en présence l’un de l’autre dans le film. Il en résulte une inflexion marquée de la tonalité de l’œuvre, les personnages dialoguant puis s’affrontant de manière beaucoup plus directe.
Surtout, la fin de l’histoire a été substantiellement modifiée. D’une part, il est évident dans le film que la mort de Valmont est un suicide : hanté par l’image de Mme de Tourvel (Michelle Pfeiffer), qui apparaît agonisante sur l’écran à plusieurs reprises pendant le duel, Valmont se précipite lui-même sur l’épée de Danceny (Keanu Reeves). Le roman, lui, ne décrit pas le déroulement du combat. D’autre part, le sort de Mme de Merteuil est également différent : alors que dans le roman, elle doit s’enfuir en Hollande, ruinée et défigurée par la petite vérole, Stephen Frears, qui avait d’abord envisagée qu’elle soit guillotinée lors de la Révolution, la montre simplement se démaquillant devant son miroir après avoir été humiliée à l’opéra. La fin du film n’est pas moins cruelle que chez Laclos, mais provoque davantage de compassion pour Mme de Merteuil.
Valmont, l’adaptation de Forman (scénario de Jean-Claude Carrière) prend elle aussi certaines libertés avec le roman épistolaire de Laclos, inventant ce qui n’est pas dans les lettres et choisissant de rajeunir les personnages. Mme de Tourvel (Meg Tilly) apparaît légèrement en retrait tandis que Cécile de Volanges (Fairuza Balk), âgée de quinze ans, prend plus d’importance.
Le film dresse un splendide tableau de l’aristocratie française du XVIIIe siècle, soulignant le rôle des domestiques dans l’ombre de leurs maîtres, les abus luxueux et l’insouciance frivole de la noblesse à la veille de la Révolution. La marquise de Merteuil (Annette Bening), redouble d’intelligence et de machiavélisme pour mener à bien sa vengeance, jouir du malheur de ses ennemis et surtout affirmer sa supériorité sur les hommes dans une société patriarcale où le pouvoir des femmes est minoré. Valmont distille ainsi un discours féministe et se refuse à juger ses protagonistes, même lorsqu’ils font le mal par plaisir ou vanité. « Tout le monde a ses raisons d’agir comme il le fait », semble dire Forman au cours de cette méditation sur la possibilité d’être libre dans un monde sur le point de s’évanouir.
Forman affirme s’être dans son film inspiré du peintre française Jean-Honoré Fragonard, célèbre au XVIIIe pour ses scènes galantes et ses représentations du libertinage. Le film de Stephen Frears recourt lui aussi à une citation picturale : la Dame écrivant une lettre et sa servante (1667) du peintre flamand Johannes Vermeer. Mais si Forman s’inspire en particulier du Verrou (1777) de Fragonard, c’est pour montrer le contraire d’un enfermement, tandis que la Lettre de Vermeer rappelle combien Stephen Frears a construit son film sur la clôture, sur la fermeture du cadre. Surtout, alors que Forman construit son film à partir d’une référence visuelle à la peinture du XVIIIe siècle, c’est à partir d’un goût personnel qui le porte vers l’opéra que Frears reconfigure le récit de Laclos : la scène avec le castrat est une totale invention et est emblématique de la manière dont la musique se diffuse dans l'ensemble du film.
Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears sont à retrouver sur https://bit.ly/3NC8NY8
Valmont de Miloš Forman est à retrouver sur https://bit.ly/42OAP75